L’infarctus sans sus-décalage de ST (non ST+) est un diagnostic suspecté sur la clinique et l’ECG pour lequel la biologie joue un rôle diagnostic majeur. Il est plus fréquent que l’infarctus avec sus-décalage de ST et la population touchée est en moyenne plus âgée (≥ 75 ans) [1]. Les présentations ECG sont très variables et traduisent des syndromes différents avec des pronostics différents [2].
Les patients avec anomalie de repolarisation sans sus-décalage du segment ST en situation clinique compatible avec une ischémie myocardique aiguë (SCA) ont une occlusion coronaire aiguë dans au moins ¼ des cas. Leur pronostic à court terme est alors sévère, proche de celui des infarctus ST+ [3][4][5]. C’est pourquoi l’identification précoce des présentations ECG évoquant une occlusion coronaire est essentielle afin d’envisager une revascularisation précoce.
Les artères occluses coupables sont plus souvent la coronaire droite ou la circonflexe que l’interventriculaire antérieure, mais des lésions coronaires multiples ou une occlusion du tronc commun de la gauche sont fréquentes [13][14].
Le sous-décalage de ST est l’anomalie la plus fréquente rencontrée chez les patients qui présentent des symptômes d’ischémie coronaire au repos et un ECG initial anormal [11]. Les seuils académiques définis en 2018 qui doivent faire évoquer un infarctus non ST+ en situation clinique compatible avec une ischémie myocardique aiguë ou un infarctus sont [9] :
- un nouveau sous-décalage du segment ST horizontal ou descendant ≥ 0,5 mm (0,05 mV) au niveau du point J dans au moins 2 dérivations contiguës avec une onde R proéminente ou un ratio R/S > 1.
- une onde T inversée ≥ 1 mm (0,1 mV) ou diphasique (+/-) dans au moins 2 dérivations contiguës avec une onde R proéminente ou un ratio R/S > 1.
Plus le segment ST est sous-décalé, plus grand est le risque d’occlusion coronaire aiguë [12]. La mesure précise de l’amplitude du sous-décalage de ST est délicate et doit être interprétée en fonction de l’amplitude du QRS qui le précède (règle de la proportionnalité) car le décalage de ST est minoré par des QRS microvoltés et majoré par des QRS amples.
- Si l’aspect horizontal ou descendant (ST raide) est évocateur d’une ischémie myocardique, il est souvent difficile à distinguer du sous-décalage de ST évocateur d’une surcharge ventriculaire ou « strain pattern » (cf. Hypertrophie ventriculaire).
- En cas de reperfusion, spontanée ou provoquée, on peut observer une combinaison de lésion sous-épicardique (ST+) et ischémie sous-épicardique (T-) très évocatrice appelée « ischémie-lésion » ou encore une ischémie sous-épicardique (« ondes T de reperfusion ») appelées parfois « ondes T de Wellens ».
Les termes ischémie ou lésion sous-endocardique ou sous-épicardique sont descriptifs, mais ne traduisent pas exactement les phénomènes locaux.
Diagnostics différentiels
Les seuils académiques définis en 2018 manquent de spécificité et peuvent traduire [10] :
- une ischémie myocardique avec coronaropathie et infarctus aigu (avec ou sans occlusion coronaire),
- une ischémie myocardique avec coronaropathie sans infarctus aigu (maladie coronaire stable ou séquelles d’infarctus),
- une ischémie myocardique sans coronaropathie, avec ou sans infarctus biologique (ischémie fonctionnelle, tako tsubo…),
- de très nombreux diagnostics différentiels de l’ischémie aiguë (cf. Sous-décalage de ST)
SCA avec équivalents ST+
- Certains sous-décalages de ST sont assez caractéristiques d’occlusion/subocclusion coronaire aiguë en situation clinique compatible avec une ischémie myocardique évolutive [6][7]. Il s’agit en quelque sorte d’identités remarquables ou “patterns” (Cf. SCA non ST+. Equivalents ST+). L’existence de complexes QRS modifiés par l’ischémie (rabotage, microvoltage, fragmentation, élargissement, ondes Q), d’ondes T inversées ou un sus-décalage de ST en VR(V1) améliore leur identification [15]. Le dosage des biomarqueurs cardiaques est généralement indispensable pour affirmer l’infarctus et guider la thérapeutique.
- Des anomalies moins caractéristiques comme un sous-décalage modéré du ST ou des ondes T inversées peuvent témoigner d’une occlusion coronaire aiguë (ex. Infarctus ST+ en territoire latéral), d’une souffrance myocardique ischémique sans occlusion coronaire ou de séquelles d’infarctus (cf. Séquelle de nécrose). Ces anomalies ne sont parfois que les témoins d’une ischémie myocardique fonctionnelle à coronaires saines ou les témoins d’aucune ischémie myocardique.
SCA avec anomalies de l’onde T
- L’onde T inversée dans le contexte d’un SCA (sans onde T géante en miroir) est un signe que l’ischémie est résolutive. Elle est typiquement symétrique, profonde (ex. ≥ 3 mm [19]) et large avec parfois prolongation de l’intervalle Q-T [20]. Si l’onde T est inversée profonde (« giant negative T waves »), une reperfusion/désocclusion coronaire récente est hautement probable [21]. Elle peut être précédée de quelques heures par une onde T diphasique, parfois très discrète, plus spécifique (“terminal T-wave inversion”). Ces deux aspects consécutifs de l’onde T observés en dehors des périodes angineuses ont été décrits en premier par Wellens et al. [22]. Ils sont de haute valeur diagnostique dans le précordium (en particulier V2-V4) pour le diagnostic d’une sténose critique de l’IVA avec perfusion d’aval préservée, soit par la réouverture spontanée de l’artère, soit par le réseau collatéral (syndrome de l’IVA ou « syndrome de Wellens »). Une prise en charge médicale rapide est recommandée car une réocclusion complète est à redouter à court terme [23].
- L’onde T inversée profonde en rapport avec une ischémie résolutive peut régresser en quelques heures/jour ou se repositiver brutalement en cas de réocclusion (« pseudonormalisation »). Elle peut persister plusieurs mois en cas d’infarctus. Des analogues d’ondes T de Wellens sont également possibles en territoire inférieur ou latéral en cas de reperfusion coronaire (les ondes T peuvent être alors positives si la polarité du QRS est négative).
- Une onde T inversée de faible amplitude (≥ 1 mm) dans deux dérivations où l’onde R est proéminente (R/S > 1) peut aussi traduire isolément une ischémie coronaire subaiguë, en particulier en territoire inférieur ou latéral [24]. Elles peuvent correspondre à un miroir d’onde T+ ischémique en territoire opposé. En règle générale, les anomalies mineures de l’onde T doivent alerter le clinicien, mais elles manquent de spécificité et se rencontrent dans de nombreuses situations. Elles peuvent s’observer physiologiquement chez l’adulte jeune en dérivations V1-V3 (cf. Persistance de la repolarisation juvénile) [25], à tout âge dans les territoires latéral haut (VL) ou inférieur (DIII-VF), chez l’africain (cf. Inversion bénigne de l’onde T) ou chez les sujets âgés dans les dérivations latérales (V5-V6 et DI-VL) en rapport avec des vitesses de repolarisation différentes entre endocarde et épicarde, physiologiques ou liées à l’âge [26].
- Des ondes T inversées ne sont pas spécifiques d’une lésion coronaire aiguë et s’observe dans d’autres situations aigües (notamment la cardiomyopathie de stress appelée parfois tako tsubo, une embolie pulmonaire ou une souffrance cérébrale aiguë). Elles peuvent s’observer en lien avec une pathologie coronaire chronique (cf. Séquelle de nécrose) ou au cours de l’évolution de certaines pathologies (cf. Sous-décalage de ST) [27].
- Des ondes Q de nécrose peuvent s’inscrire à tous les stades d’un infarctus sans sus-décalage de ST, mais sont généralement présentes sur l’ECG initial. Elles peuvent manquer en cas d’infarctus transmural ou apparaître sans corrélation avec une nécrose transmurale ventriculaire [29]. Une mauvaise progression de l’onde R de V1 à V3-V4 (ex. onde r de 1-2 mm en V4, dans le cadre d’une pathologie ischémique) ou un microvoltage/fragmentation du QRS dans deux dérivations contiguës, est considérée parfois comme un équivalent d’onde Q de nécrose [30].
ECG normal (environ 5% des cas d’infarctus)
Un ECG normal ou subnormal chez un patient qui n’a plus mal (a fortiori s’il a encore mal) n’exclut pas la possibilité d’un SCA (a fortiori si les biomarqueurs cardiaques sont discrètement positifs). En effet, une occlusion/sub-occlusion coronaire aiguë avec une repolarisation normale ou subnormale sur l’ECG est possible en cas de petit territoire coronaire ischémique, en particulier si l’ischémie est incomplète (ex. bon réseau collatéral d’aval) ou si le territoire coronaire est mal explorable (ex. Ischémie dans l’artère circonflexe). Il peut aussi s’agir d’une « pseudo-normalisation » d’un ECG de base anormal, en rapport avec l’ischémie coronaire aiguë. Il peut enfin s’agir d’une occlusion/désocclusion avec risque de ré-occlusion.
Pour toutes ces raisons, si la situation clinique est évocatrice d’ischémie coronaire, il est difficile d’écarter le diagnostic de syndrome coronaire aigu ou d’infarctus devant un ECG initial normal, atypique ou peu modifié – surtout en cas de bloc de branche ou hypertrophie ventriculaire – sans multiplier les tracés ni s’aider de la biologie et/ou de l’imagerie (Cf. ECG en situation ischémique). Si l’ECG reste normal et les biomarqueurs cardiaques négatifs ou non évolutifs on peut exclure un SCA, mais pas complètement une ischémie coronaire stable [31]. D’autres examens cardiaques non invasifs sont parfois nécessaire.
Infarctus et QRS larges. Voir Infarctus et BBG, Infarctus et BBD ou Infarctus et pacemaker
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