Activité ventriculaire prématurée, originaire du myocarde ventriculaire et parfois du faisceau de His ou des fibres de Purkinje (ESC 2022 et 2025 [1], livre [2]). L’influx dépolarise les ventricules de proche en proche et remonte par voie rétrograde vers le nœud AV, via les fibres de Purkinje et le faisceau de His. Il peut y rester bloqué ou gagner les oreillettes qu’il dépolarise de façon rétrograde.
Synonymes. Ectopie ventriculaire ou dépolarisation ventriculaire prématurée (CIM 10). Anglais. Premature ventricular complex.
Les ESV peuvent s’observer à tout âge. Elles sont rares chez l’adulte jeune, mais leur fréquence augmente avec l’âge (seuil acceptable < 250 par jour) [5]. Les patients peuvent être asymptomatiques ou exprimer des palpitations gênantes.
Si les ESV peuvent révéler ou déclencher une arythmie ventriculaire plus sévère ou une cardiopathie, dans la majorité des cas elles sont bénignes et idiopathiques.
La démarche clinique débute par l’analyse des ESV et la recherche d’une pathologie rythmique ou structurelle sur l’ECG. En fonction de leur nombre, de leur aspect, et du terrain et des symptômes, il faudra proposer une exploration par un cardiologue pour évaluer leur caractère bénin et l’intérêt d’un traitement spécifique [1].
Diagnostic ECG
Il existe un complexe QRS prématuré, plus large que le complexe QRS en rythme sinusal.
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- Si l’influx à l’origine de la primo dépolarisation du ventricule remonte par voie rétrograde vers le nœud AV et dépolarise les oreillettes, le complexe QRS est suivi par une onde P rétrograde, visible ou masquée dans la repolarisation. Dans ce cas, l’activation de l’oreillette droite réinitialise le nœud sinusal ce qui décale l’activité sinusale ultérieure et le complexe QRS post-extrasystolique (« repos compensateur » ou pause post-extrasystolique).
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- Si l’influx rétrograde reste bloqué dans le nœud AV, la régularité des ondes P n’est pas modifiée et le complexe QRS sinusal post-extrasystolique (ou « complexe ultérieur ») n’est pas décalé. On parle alors d’extrasystole interpolée (interpolated ventricular extrasystole).
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- Si les ventricules sont dépolarisés simultanément par un influx supraventriculaire et un influx ventriculaire ectopique, le complexe QRS hybride résultant est appelé complexe de fusion, différent et moins large qu’un complexe QRS ectopique.
La repolarisation est toujours altérée avec un décalage du segment ST opposé au sens de la déflexion principale du QRS (cf. Discordance appropriée).
L’origine de l’ESV doit être précisée à l’aide de son amplitude, sa largeur, son axe dans le plan frontal et son aspect en dérivation V1.
- Les ESV amples et peu élargies (0,10 à 0,12 s) sont issues de la partie haute du septum interventriculaire.
- Les ESV qui ont une prédominance positive en V1 (retard droit) proviennent du ventricule gauche (ESV avec retard droit).
- Les ESV qui ont une prédominance négative en V1 (retard gauche) proviennent du ventricule droit ou du septum (ESV avec retard gauche). Si l’axe est dévié à droite (DI négatif), elles proviennent de la partie antérieure de division de la branche gauche et si l’axe est dévié à gauche (DI positif), elles proviennent de la partie postérieure de cette division.
- Les ESV originaires du ventricule droit en l’absence de cardiopathie structurelle sont plus souvent bénignes que celles originaires du ventricule gauche (cf. ESV infundibulaires). Elles s’observent chez des sujets sains dans presque 1% des cas (retard gauche trois fois plus fréquent que retard droit), plus fréquemment avec l’âge [4][6]. Néanmoins, les ESV fasciculaires issues du VG sont généralement bénignes (Extrasystoles ventriculaires bénignes).
- Les ESV du système de Purkinje droit (généralement monomorphes) ou gauche (morphologie qui peut changer d’un battement à l’autre) : rares, dangereuses, car couplage court 240-320 ms avec risque de phénomène R sur T et FV). Ces ESV sont dites malignes, car responsables d’arythmie ventriculaire (cf. Extrasystoles ventriculaires malignes).
- De nombreux facteurs, dont l’état du myocarde, compliquent parfois la recherche de l’origine d’une ESV ou d’une TV [7].
L’aspect des ESV doit être précisé. Les ESV monomorphes sont plus souvent bénignes que les ESV polymorphes (≥ 3 aspects). Le type de retard droit ou gauche et l’axe (droit, gauche…) guide vers l’origine du foyer ventriculaire et permet la distinction avec un bloc de branche droit ou gauche (cf. ESV avec retard gauche, ESV avec retard droit).
Le couplage des ESV doit être précisé. Le couplage peut être long (index de prématurité RR/QT est > 1 ou R-R > 350 ms, de bon pronostic) ou court (index de prématurité RR/QT est < 0,85 ou couplage < 300 ms, de mauvais pronostic) avec, ou non, phénomène R/T; il peut être fixe (bon pronostic) ou variable (mauvais pronostic) (voir MORT en DIRECT ?).
La fréquence des ESV est difficile à préciser sur un ECG standard et elle est variable d’un jour à l’autre.
- On précisera leur nombre par tracé, par heure ou mieux par jour (charge en ESV, variations nycthémérales), leur alternance éventuelle avec un ou plusieurs complexes de base (cf. Bigéminisme) et leur caractère répétitif (doublets, triplets, salves) (cf. ECG Holter).
- Le comptage par ECG ambulatoire est plus précis et peut emporter la décision de traitement. En effet, des ESV très nombreuses peuvent conduire à une cardiomyopathie rythmique (au moins 15–25% du nombre de battements totaux) ou interférer avec l’hémodynamique en cas de resynchronisation ventriculaire. Si les ESV sont ou semblent fréquentes (ex. Holter ECG ≥ 10 ESV/h voire ≥ 500 ESV/24 h, une échocardiographie transthoracique est recommandée pour rechercher une cardiopathie structurelle, suivie éventuellement d’une IRM cardiaque.) ou invalidantes, un bilan complémentaire s’impose… (cf. ESV bilan et pronostic) [1].
Le substrat à l’origine des ESV
Après l’analyse des ESV, l’évaluation se poursuit par la recherche de signes ECG en faveur d’une cardiopathie structurelle ou rythmique
Par exemple (Dr. Raffaele Scorza, FESC [1])
- A prolonged or shortened QT interval may suggest electric disease on genetic (Short or Long QT-syndrome) or on acquired basis.
- A Brugada pattern with coved ST-elevation followed by negative T-wave can be seen in V1-V3.
- High QRS-amplitude in precordial leads may result from hypertrophic myocardium.
- Precordial T-wave inversion or so-called epsilon wave (a late potential embedded in the end of the QRS-complex) may indicate arrhythmogenic right
- ventricular cardiomyopathy (ARVC).
- Pathological Q waves might reflect scarred areas, most commonly due to previous myocardial infarction.
- Conduction disease (prolonged PQ- or QRS-time) may manifest because of cardiac disease.
L’évaluation ultérieure comprend une analyse des antécédents familiaux, des comorbidités et un bilan morphologique (échocardiographie, parfois IRM, EE, exploration électrophysiologique, genetic testing, angiographie…) (ESC 2022 [1]).
Causes et facteurs favorisants [1]
- Maladies structurelles (fibrose, cardiomyopathie, infarctus, etc.), mais aussi parfois des pathologies non cardiaques : hyperthyroïdie, hypokaliémie, myopathies (ex : dystrophie myotonique), sarcoïdose, maladie de Chagas.
- Stress, anxiété (via une hyperactivation sympathique), prise de stimulants (caféine, alcoolisation aiguë, tabac) sont des facteurs déclenchants.
- Apnées du sommeil, obésité et usage de drogues sont également à considérer.
Astuces et pièges
- Une ESV plutôt fine peut correspondre à un complexe de fusion si une onde P la précède de peu et parvient à dépolariser simultanément les ventricules.
- Une ESV moins large qu’un complexe QRS large d’origine sinusale avec bloc de branche peut correspondre à une origine septale, infundibulaire ou fasciculaire ou une exceptionnelle fusion normalisante.
- En cas d’extrasystole interpolée (non décalante), l’intervalle PR consécutif peut être allongé en raison d’un ralentissement de la conduction antérograde des influx atriaux dans le nœud AV sous l’influence de la conduction rétrograde de l’influx ventriculaire (« conduction cachée » ou « concealed retrograde conduction », voir schéma) [6].
- Une « pause post extrasystolique » peut : démasquer une activité électrique atriale (rythme sinusal ou tachycardie atriale) à même d’expliquer certaines tachycardies inclassables [3]. Au contraire, elle peut améliorer la conduction intraventriculaire, lorsque le temps de pause est suffisant pour que l’une des branches du faisceau de His sorte de sa période réfractaire (régression d’une aberration ventriculaire).
- Une ESV peut simuler un bloc AV ou un bloc SA. En effet, toutes les extrasystoles influencent plus ou moins la conduction intracardiaque sus- et sous-jacente et peuvent générer des aspects de pseudo-blocs (voir dromogrammes ci-dessous).
Figure A. Une extrasystole atriale très précoce reste bloquée dans le nœud AV. Elle est responsable de l’allongement du temps de conduction Intranodale de l’impulsion suivante (allongement du PR)
Figure B. Une extrasystole atriale plus tardive (ou moins précoce) allonge tellement la conduction dans le NAV que l’onde sinusale suivante est bloquée.
Figures C et D. Mêmes phénomènes qu’en A et B, après la survenue d’une extrasystole ventriculaire plus ou moins précoce. De plus, Figure D, après l’ESV l’onde sinusale est bloquée et survient une extrasystole jonctionnelle dont la propagation vers l’oreillette est bloquée, ce qui crée, au niveau du nœud, un état réfractaire qui interdit la conduction de l’influx sinusal suivant
Figure E. Une extrasystole jonctionnelle dont la propagation rétrograde vers l’oreillette est bloquée crée au niveau du nœud AV un état réfractaire qui interdit la conduction de l’influx sinusal suivant.
Figure F. Une extrasystole jonctionnelle cachée qui n’atteint ni le ventricule ni l’oreillette (et ne peut donc avoir de traduction électrique) peut, seule, expliquer le trouble de conduction qui s’extériorise pour l’influx suivant.
Une ESV peut démasquer des anomalies de repolarisation du complexe post extrasystolique impliquées dans les arythmies ventriculaires (lire article passionnant) [8]).
Diagnostics différentiels
La survenue d’un complexe QRS large ± prématuré peut correspondre à :
- Une aberration ventriculaire suite à une ESA bloquée partiellement dans le faisceau de His (cf. ESA (ou ESJ) conduite avec aberration ventriculaire)
- Une préexcitation ventriculaire intermittente
Vidéos YouTube. P. Taboulet
- 10a. De l’extrasystole droite à la TV.
- 10b. De l’ESV gauche à la tachycardie ventriculaire
- 10c. Arythmie ventriculaire, Brugada, QT long
- 10d. Prise en charge d’une tachycardie à complexes QRS larges
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Homme 39 ans. Palpitations soudaines (quiz pas si simple)
Solution Quiz. Tachycardie à QRS larges 2.
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