La correction rapide d’une hyperkaliémie ≥ 5,5 mmol/l est parfois nécessaire pour protéger le cœur du risque d’arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire ou asystolie [1],[2].
Rappelons que des pseudo-hyperkaliémies existent dans environ 3% des cas et que l’utilisation d’un analyseur de gaz du sang qui mesure la kaliémie peut réduire le délai de résultat ou de confirmation.
La cause et la valeur de l’hyperkaliémie, la réserve alcaline sanguine (accessoirement du Ca et du Mg), la volémie (hypovolémie ou surcharge hydrosodée), le retentissement neuro, rénal et circulatoire, et la sévérité des modifications de l’ECG sont essentiels à apprécier pour évaluer le niveau de l’urgence vitale et donc la réponse thérapeutique à donner.
Les propositions thérapeutiques suggérées ci-dessous seront donc adaptées à chaque situation. Le traitement de la cause est simultané : arrêt AINS, aldactone, IEC…, insuline si acidocétose, anticorps antidigitaliques, garrot si crush syndrome…
L’analyse de l’ECG permet de classer approximativement la gravité de l’hyperkaliémie en trois catégories : pas de menace, menace d’apparition ou existence de trouble du rythme sévère. Cette évaluation est parfois complexe et peut engendrer un retard préjudiciable au traitement selon la compétence du médecin qui lit l’ECG et sa promptitude à donner un traitement adapté [1] (cf. Hyperkaliémie).
Hyperkaliémie modérée
1. Elimination du potassium de l’organisme
- Furosémide IV si insuffisance rénale ou cardiaque à diurèse conservée. Très utile en cas de surcharge volémique. Posologie suffisante pour une diurèse abondante et une élimination urinaire du potassium.
- Résines échangeuses de potassium comme le sulfonate de polystyrène de sodium, soit 30 g (équivalent à 2 cuillères mesure) per os de KAYEXALATE® trois fois par jour. Certaines utilisent la voie intra-rectale par lavement (KAYEXALATE® dans 50 à 100 ml de soluté de G10%). Ce traitement n’est plus recommandé en routine (hors aigu) par les néphrologues [9] en particulier chez les sujets âgés en raison de leur efficacité non démontrée dans l’urgence et leur toxicité digestive largement démontrée au long cours [10].
- Séance d’épuration extra-rénale doit être envisagée en cas d’insuffisance rénale aiguë oligo-anurique.
Hyperkaliémie menaçante
-
K ≥ 6,5 mmol/l* + absence de signes cliniques + ECG normal ou subnormal avec ondes T pointues et QRS < 120 ms
-
K ≥ 6 mmol/l + signes ECG : bradycardie sinusale modérée, BAV 1, BIV avec QRS ≤ 140 ms ou bloc de branche avec QRS < 160 ms et ondes T ± pointues). L’hémodynamique est conservée.
*Il y a consensus (ex. [6][13] pour considérer qu’une kaliémie > 6 ou ≥ 6,5 mmol/l est menaçante et constitue une urgence thérapeutique quel que soit l’ECG (context évocateur + controle préalable de la kaliémie (intérêt des gaz du sang veineux…).
2. Augmentation du transfert transmembranaire du potassium vers le milieu intracellulaire [8][13].
Deux méthodes sont validées, efficaces en 30 min environ. L’insuline peut être combinée avec les ß2-mimétiques et répétée :
- Insulinothérapie ; 10 UI d’insuline rapide, diluées dans 250 ml de G10% soit 25 g de glucose à passer en 15-20 minutes (renouvelable une fois selon glycémie). L’insuline favorise la pénétration du potassium dans les cellules via la Na+/K+ ATPase, ce qui diminue la kaliémie de 0,6 à 1,2 mmol/L après 1 h. Après un bolus, l’effet de l’insuline sur la kaliémie débute dans les 10 à 20 minutes et est maximal à 60 minutes. Il dure environ 4 à 6 h (davantage si insuf. rénale). Le risque secondaire est l’hypoglycémie. Surveillance clinique et glycémie/heure. En cas d’hyperglycémie ≥ 14 mmol/l, remplacez le G10% par du G5% voire G2,5%. En cas d’acidocétose diabétique, répétez l’insuline et remplacez les solutés glucosés par 250 ml de sérum physiologique ou de bicarbonate de sodium isotonique (1,4%), puis continuez le remplissage sodé.
- Nébulisation de ß2-mimétiques avec 5 mg de salbutamol (VENTOLINE®) ou terbutaline (BRICANYL®), renouvelable au besoin toutes les 15 minutes (jusqu’à 10 à 20 mg). Ils agissent par activation de l’enzyme Na/K ATPase permettant l’entrée du potassium dans les cellules, ce qui restaure le potentiel de membrane de repos. La nébulisation est parfois très utile en attendant la voie veineuse…
On associe au point thérapeutique 2 lle point thérapeutique 1 : élimination du K de l’organisme
Hyperkaliémie sévère
Ex2 ≥ 6 mmol/l + signes neuro ou signes ECG d’hyperkaliémie sévère ou hémodynamique précaire
Il est généralement admis que le calcium intraveineux (IV) est indiqué en cas d’hyperkaliémie ≥ 6 mol/l en cas de signes ECG de mauvais pronostic (absence d’ondes P, QRS très larges, soit très lents soit très rapides, une dysfonction de pacemaker, une hypotension ou un bas débit, voire un arrêt cardiaque) [3].
En cas de TSV à QRS larges, il peut s’agir d’une tachycardie sinusale ou atriale. Le tracé peut mimer une TV. Il est raisonnable de débuter le traitement par du calcium IV, voire aussi du bicarbonate de sodium IV car ce traitement peut améliorer rapidement l’aspect ECG. Une cardioversion par choc électrique (150 J biphasique) est une alternative première parfois nécessaire, de préférence après injection du calcium IV à bonne dose (c. Hyperkaliémie traitement). Un échec de cardioversion pourrait plaider contre une TV et justifier de renforcer le traitement médical.
Pour Littman 2018 [2], le traitement peut et doit être débuté, sans attendre la confirmation biologique, en cas de syndrome hyperkaliémique.
- des symptômes (malaise/syncope, ralentissement idéomoteur, signes neuro déficitaires…),
- aspect clinique de bas débit périphérique (peau froide, marbrures, chute tensionnelle),
- ECG caractéristique avec signes de gravité ci-dessous.
- Profound hypotension accompanied by acute QRS widening and axis shift
- Hypotension, shock, widened QRS complexes and ST elevation in leads V1 and V2 (Brugada-like Pattern)
- Acutely ill patient who presents with wide-QRS PEA
- Non-shockable pulseless wide-complex tachycardia
- Bilateral lower extremity paralysis or tetraparesis accompanied by a markedly abnormal ECG
- (Eventually) Critical illness when the ECG interpretation software double counts the heart rate (signe du scope voir hyperkaliémie)
3. Restauration de la qualité du potentiel d’action
Le calcium injecté, par sa liaison intracellulaire avec la calmoduline, restaure l’activité des canaux sodiques ce qui permet une entrée massive du sodium dans les myocytes et réaccélère la phase 0 du potentiel d’action [6][6bis]. Il relance ainsi l’automatisme et la conduction à tous les étages et affine notamment les complexes QRS, améliore l’hémodynamique et réduit le risque brutal d’arythmie fatale [3]. Il ne modifie pas la kaliémie.
Le chlorure de calcium est veinotoxique (çà brule) aussi on recommande, en l’absence de voie d’abord centrale ou jugulaire, l’emploi du gluconate de calcium (qui contient 3 fois moins de calcium élément que le chlorure) pour éviter les complications liées à la toxicité vasculaire locale. En pratique, on peut diluer 3 amp. de 10 ml à 10% dans 100 ml d’un soluté glucosé à 5%. Vitesse de perfusion : 10 à 15 min. Cette perfusion intraveineuse peut et souvent doit être réitérée plusieurs fois en une heure, puis chaque heure en attendant la baisse de la kaliémie par les autres thérapeutiques.

Curieusement, on notera que la revue Cochrane ne recommandait pas – en 2005 – le calcium IV en raison du peu d’études qui en démontrent l’efficacité (Cochrane 2005 [7]). Mêmes limites signalées par ILCOR dans la revue Resucitation en 2025 [8]. Néanmoins, la plupart des professionnels l’utilisent largement en pratique, de façon répétée et le recommandent [2][4][6][11] (lire aussi S. Smith 2015 The Effect of Calcium on Severe Hyperkalemia). La tolérance est acceptable également en cas de traitement par la digoxine [3].
Les points thérapeutiques 1 et 2 sont associées secondairement, selon la réponse au traitement et la cause de l’hyperkaliémie.
4. Alcalinisation
Souvent recommandée en dernière intention [6], voire pas du tout faute d’études précises [8]), l’alcalinisation par des sels de sodium est pourtant une méthode efficace sur la réduction de l’effet stabilisant de membrane (QRS larges), surtout si la réserve alcaline est basse (acidocétose) et/ou hypovolémie (diarrhée, diurétiques…). Elle est facile à mettre en œuvre d’emblée ou en complément des points thérapeutiques 3, 2 et 1 précédents. Néanmoins elle est contrindiquée en cas de surcharge hydrosodée, chez l’insuffisant cardiaque ou l’insuffisance rénale (furosémide en premier). Elle a largement démontré son efficacité en cas d’effet stabilisant de membrane induit par certains toxiques (cf. Effet stabilisant de membrane, Tricycliques).
- Alcalinisation par 50 à 100 ml de bicarbonates ou lactates de sodium molaire 8,4% ou 100 à 200 ml de semi-molaire 4,2% injectés en 30 minutes, renouvelable une fois, si besoin (max 3 mEq/kg). Les bicarbonates favorisent l’entrée du potassium dans les myocytes, restaurent le potentiel de membrane de repos, diminuent la kaliémie rapidement et augmentent secondairement l’élimination rénale du potassium.
L’alcalinisation est souvent prescrite dans les hyperkaliémies sévères, en complément du calcium IV ou de l’association calcium-insuline IV [11][12].
Protocole des néphrologues français (FIRN 2016 [6])
En l’absence de signes de gravité clinique et ECG (ex. ondes T pointues uniquement)
- Insuline-glucose IV et bêta-mimétique en aérosol.
En présence de signes de gravité cliniques ou ECG (ex. disparition des ondes P, bradycardie sévère, élargissement des QRS)
- Calcium IVD + association insuline-glucose IV et bêta-mimétique en aérosol.
- Si persistance des signes, répéter les sels de calcium + alcalinisation IV par sels de sodium molaire ou semi molaire


Protocole des urgentistes français (Lemoine L 2019 [13])

CHLORURE DE CALCIUM 10 POUR CENT (1 g/10 mL) RENAUDIN, solution injectable en ampoule
GLUCONATE DE CALCIUM LAVOISIER 10%, solution injectable Une ampoule de 10 ml contient 0,7 g de gluconate de calcium et 0,328 g de glucoheptonate de calcium. Teneur en calcium : 2,23 mmol/ampoule de 10 ml (89,4 mg/ampoule de 10ml)
Lire le blog de S. Smith sur des diagnostics difficiles et l’effet des traitements
- Hyperkalemia and ST Segment Elevation (traitement)
- The Effect of Calcium on Severe Hyperkalemia
- You MUST recognize this pattern, even if it is not common
- Very Wide and Very Fast, What is it? How would you treat?
- This ECG is NOT Pathognomonic of Brugada Syndrome
- What are these ST elevations, ST depressions, and tall T waves diagnostic of?
Hyperkaliémie 6,6 mEq/L (acidocétose) avec TV traitée par CEE, puis traitement ci-dessous ici
« He was given 3 g calcium (10 mL of 10% calcium gluconate) to stabilize the myocardium and 150 mEq sodium bicarbonate (3×50 mL of 8.4% sodium bicarbonate) to facilitate the intracellular shift of potassium. An additional 1000 mL 0.9% saline bolus and 10 units insulin aspart IV were given.

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