L’hyperkaliémie (élévation du potassium extracellulaire ≥ 5,5 mmol/l) est un trouble hydroélectrolytique rencontré en particulier chez l’insuffisant rénal, avec certains médicaments* ou dans certaines situations aiguës (acidocétose diabétique, hypovolémie, iode, rhabdomyolyse, toxiques…). C’est une anomalie biologique relativement fréquente qui s’accompagne d’un risque majoré de décès dans les 24h, en particulier chez les non insuffisants rénaux avec une kaliémie ≥ 6 mol/l [17].
*Médicaments hyperkaliémiants : bloqueurs du SRA (IEC/ARA2) qui vont agir sur la sécrétion d’aldostérone, les anti-aldostérones, la supplémentation potassique, les médicaments qui interviennent sur le métabolisme du potassium (digitalique, AINS, béta-bloquants, anticalcineurines, héparine, kétoconazole, amiloride, trimethoprime, pentamidine).
Plus la kaliémie est élevée, plus l’ECG est modifié, même si la corrélation entre l’élévation de la kaliémie et les signes de gravité ECG (anomalies modérées, menaçantes ou critiques) est mauvaise.
Le traitement dépendant de l’expression clinique, de la kaliémie et de l’aspect ECG (cf. Hyperkaliémie traitement).
Diagnostic
Les signes cardiovasculaires sont insidieux au début : fatigue, lipothymie, essoufflement, troubles digestifs, syndrome oedémateux… en rapport avec l’étiologie.
Les signes neuromusculaires sont parfois présents dans les formes sévères (ex. > 6,5 mmol/l) : faiblesse musculaire, paresthésies des extrémités, de la langue et de la région péribuccale, diminution de la sensibilité profonde et rarement paralysie flasque des membres.

Les signes ECG sont assez spécifiques, mais la reconnaissance ECG par les médecins du pattern « hyperkaliémie » est parfois mauvaise [6bis], comme en atteste la comparaison entre les médecins et l’intelligence artificielle (biblio [12]).
Les signes ECG manquent de sensibilité car l’ECG peut être normal ou discordant par rapport à la sévérité réelle de l’hyperkaliémie biologique. On ne peut donc pas compter uniquement sur l’ECG pour écarter une hypothèse d’hyperkaliémie, en particulier chez l’insuffisant rénal chronique [1] (ex. ≥ 8 mmol/l [6][7]).
On compare parfois l’hyperkaliémie avec la syphilis du cœur, tant les aspects ECG sont variés. Certains signes sont particulièrement évocateurs d’hyperkaliémie critique en raison du risque à court terme d’arythmie ventriculaire fatale par asystole ou fibrillation ventriculaire. Oui, l’hyperkaliémie tue parfois « sans attendre » (cf. YouTube L’ECG métabolique).
Les présentations ECG complexes (ex. tachycardies à QRS larges, infarctoïdes, bradyarythmies) ou l’existence d’anomalies préexistantes (ex. bloc de branche ou pacemaker) peuvent rendre le diagnostic parfois très difficile. Ces aspects seront aussi abordés ici.
Hyperkaliémie modérée (ex. 5,5-6,5 mmol/l)
Elle modifie la phase 3 du potentiel d’action des myocytes, dépendante essentiellement des canaux potassiques [2], ce qui modifie la repolarisation ventriculaire et peut se traduire par : [1]
- Le respect du rythme sinusal et de la conduction interatriale et atrioventriculaire.
- Des complexes QRS fins < 110-120 ms.
- Un segment ST isoélectrique plutôt raide.
- Des ondes T amples, pointues et symétriques, de durée relativement courte avec un aspect « en tente » ou « en stalagmite » dans plusieurs dérivations précordiales (surtout V2-V4), parfois en dérivations inférieures ou de façon plus diffuse [2]. Une onde T pointue > 50% de l’amplitude de l’onde R dans une dérivation où R > S doit faire évoquer le diagnostic.
- Un intervalle QT normal ou parfois raccourci.
L’ECG est souvent normal ou les ondes T chétives, mais étroites et symétriques, en particulier chez l’insuffisant rénal.
Litmman 2018 [9]. Peaking of the T waves, the most widely appreciated ECG sign, is actually rarely a manifestation of life-threatening hyperkalemia
Hyperkaliémie sévère (≥ 6,5 mmol/l)

Elle altère plus ou moins les autres phases du potentiel d’action des cellules atriales et ventriculaires en raison de la moindre polarisation du potentiel de repos (phase 4), qui devient moins électronégatif (–80 mV au lieu de –90 mV), ce qui ralentit la phase de dépolarisation rapide qui en dépend (phase 0), ralentit aussi l’entrée du calcium (phase 2) et la repolarisation (phases 3 et 4) [2].
Cela se traduit par des anomalies d’automatisme et de conduction « à tous les étages », avec des tracés très variés et parfois par une hémodynamique sévèrement altérée.
Là encore, l’ECG peut être normal, malgré une kaliémie élevée, en particulier si l’hyperkaliémie s’est installée lentement comme chez l’insuffisant rénal [6].
A – Réduction de l’automatisme et ralentissement de la conduction
À l’étage atrial
- bradycardie sinusale avec souvent
- bloc interatrial (onde P bifide, aplatie, allongée, presque invisible).
- bloc sinoatrial voire paralysie sinusale (absence d’onde P).
À l’étage jonctionnel
- bloc AV de degré variable, souvent difficile à caractériser car les ondes P sont aplaties, effacées.
À l’étage ventriculaire
- axe droit ou supérieur droit (DI < 0),
- onde R ample en VR > 3 mm (ou S < R), onde S ample en V5-V6-DI
- bloc intraventriculaire (QRS durée > 110 ms)
- bloc de branche atypique par sa durée (ex. ≥ 160 ms), son aspect en lame de sabre (BBG) ou sa repolarisation (perte de la discordance appropriée des ondes T).
Des QRS très larges annoncent le décès par asystole ou fibrillation ventriculaire. Un traitement par le calcium IVD est recommandé avant la confirmation par le laboratoire (cf. Hyperkaliémie. Traitement).
B – Anomalies de repolarisation
- Le segment ST est ascendant et court (intervalle JT court).
- Les ondes T sont amples et débutent précocement après les complexes QRS larges ce qui peut effacer le segment ST. Elles sont parfois géantes avec une pente initiale plus verticale que la pente finale (onde T « plus que symétrique »).
- Le signe du scope (ou signe de Littmann) est un signe de gravité. Comme les ondes T sont amples et prématurées, elles sont parfois confondues avec des QRS ectopiques par les scopes de monitoring ou les algorithmes d’interprétation et la fréquence affichée est alors doublée [13].
- Le segment ST peut
- être sous-décalé et mimer un infarctus sans sus-décalage de ST lorsque l’onde T débute d’un point J très abaissé (mimant alors des ondes T de Winter).
- être sus-décalé dans les formes sévères et mimer alors un infarctus ST+.


- L’intervalle QT peut être allongé [6], car les QRS s’élargissent, mais le JTc peut être normal ou court (raccourcissement du JT).
C – Trouble du rythme ventriculaire ou pseudo ventriculaire
- TSV à QRS larges. Il peut s’agir d’une tachycardie sinusale ou atriale. Le tracé peut mimer une TV (cf. Hyperkaliémie traitement).
- Tachycardie ventriculaire en rapport avec des post-dépolarisations.
- Le décès peut survenir par fibrillation ventriculaire
Pour Littmann L [9], les mots clés du diagnostic ECG sont : Brugada phenocopy; Double-counting of heart rate; Intraventricular conduction block; Non-shockable wide-complex tachycardia; Pseudo-infarction pattern; Pulseless electrical activity; Sine-wave
D – En cas de rythme électro-entrainé (pacemaker)
- Des ondes T+ amples et positives avec une pente ascendante raide et qui débutent à la fin des complexes QRS larges ou des ondes T+ symétriques en regard de QRS positifs doivent suggérer le diagnostic (perte de la discordance appropriée) [11].
- Les complexes QRS électroentraînés peuvent dépasser les 300 ms [3].
- Dysfonction du stimulateur cardiaque avec défaut de capture ou défibrillation indue chez les porteurs de défibrillateur cardiaque [4].
- Le décès peut aussi survenir par asystole même si le patient est porteur d’un stimulateur cardiaque [10].
Diagnostic différentiel
- Pseudo-hyperkaliémies biologiques. Elles sont fréquentes, liées aux conditions pré-analytiques (hémolyse, favorisée par le garrot, le pompage ou les délais avant dosage), l’hyperleucocytose majeure, la thrombocytose.
- Ondes T ischémiques aiguës (Hyperacute T-waves) (3 réf. [16])
- Intoxication à effet stabilisant de membrane

Traitement
Il doit débuter au plus tôt, soit après résultat du laboratoire devant une K > 5,5 et surtout 6,5 mmol/l, soit en cas de forte suspicion clinique et ECG. En effet, certains patterns, évoqués plus haut, justifient – sans attendre le résultat précis du laboratoire – un monitoring et un traitement empirique d’urgence pour prévenir une fibrillation ventriculaire ou une asystole [8][9].
Vidéos YouTube
- Hyperkaliémie (suite) et Hypokaliémie (17 min)
- (P. Taboulet 45 min). L’ECG métabolique
Blog de Steve Smith (Minneapolis) pour tous les cas cliniques avec hyperkaliémie ici
- Tachycardia and hyperkalemia. What will happen after therapy with 1 gram of Ca gluconate and some bicarbonate? (fév. 2024)
- Hyperkalemia and ST Segment Elevation
- You MUST recognize this pattern, even if it is not common
- Weakness in dialysis patient
- This ECG is NOT Pathognomonic of Brugada Syndrome
- What are these ST elevations, ST depressions, and tall T waves diagnostic of?
- A middle aged man with unwitnessed cardiac arrest
- Another deadly and confusing ECG… ? Phénocopie transitoire de Brugada
- Very Wide and Very Fast, What is it? How would you treat?
Ecgpedia : Puzzle 2005 11 428. K 8,8 puis TV et guérison
LITFL : Cas clinique 118. Homme 31 ans
Quiz Homme 70 ans, insuffisance rénale, BBG connu, TA à 80/30

Réponse quiz anomalie des QRS 2.
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