Antidépresseur tricyclique. Toxicité

Les antidépresseurs tricycliques (TC) sont des médicaments psychotropes qui exercent une action dose-dépendante sur le système cardiovasculaire. Ils possèdent des propriétés anticholinergiques et un effet stabilisant de membrane (ou quinidine-like). Ils inhibent la recapture de la noradrénaline et possèdent un effet alpha-bloquant hypotenseur [1].

ECG à dose thérapeutique

Les TC accélèrent légèrement la fréquence cardiaque et prolongent modérément l’intervalle QT tandis que les ondes T s’aplatissent. On peut observer une prolongation modérée de la conduction AV. Les complexes QRS restent fins.

Chez les patients atteints d’un syndrome du QT long congénital, un intervalle QT long expose au risque de torsade de pointes ou de mort subite. L’apparition d’un ECG Brugada type 1 est exceptionnel, mais en contrindique l’emploi. Pour ces deux raisons, un ECG pré-thérapeutique est recommandé (cf. ECG et psychotropes).

ECG à dose toxique

  • Toxicité chez l’adulte si dose > 10 mg/kg, parfois létale dose > 20-30 mg/kg (cf. Tableau des doses toxiques SFMU)
  • Apparition du toxidrome (syndrome anticholinergique + hypotension) dès la 1ère heure et période de toxicité : 24 – 48h

Les TC provoquent une détérioration de l’hémodynamique et des anomalies du rythme ventriculaire parfois fatales (cf. Effet stabilisant de membrane)[1][9]. Plusieurs signes ECG sont particulièrement évocateurs d’une intoxication sévère [1][2][3].

  • Une tachycardie. Elle est généralement de type sinusal, mais la reconnaissance des ondes P sinusales, aplaties et masquées dans la repolarisation, est parfois impossible. Les TSV à QRS larges sont plus fréquentes que les TV. Le bicarbonate molaire permet de les distinguer.
  • Un ralentissement de la conduction : la durée de l’onde P est allongée, l’intervalle P-R est souvent allongé. Un bloc AV 2 type Wenckebach (Mobitz 1) ou un bloc AV plus sévère est possible.
  • Un bloc intraventriculaire :
    • le blocage distal de la conduction (au niveau des cellules de Purkinje) débute par une déviation axiale droite > 120° (élément prédictif d’une intoxication sévère).  Cette déviation axiale droite s’exprime particulièrement bien dans les dérivations gauches (DI-VL et V5-V6) sous la forme d’une onde S élargie et profonde et dans la dérivation VR sous la forme d’une onde R proéminente (simili Brugada). Ainsi en VR (où l’aspect habituel est rS), on observe un aspect qR avec une onde R > 3 mm ou un rapport R/S supérieur à 0,7 [4][5][6]. Cette onde R proéminente en VR ou un déviation axiale extrême > -90° est le signe ECG le plus révélateur d’une intoxication par les dérivés tricycliques [8].
    • Le blocage proximal se traduit par un élargissement des complexes QRS, généralement non spécifique d’un bloc de branche (bloc intraventriculaire) sauf si un bloc de branche préexiste. Les QRS peuvent devenir très larges (> 160 ms) et bizarres en rapport avec l’altération des propriétés de conduction du réseau de Purkinje. En cas de tachycardie (fréquence 120 à 150/min), l’existence de complexes QRS larges et bizarres oriente vers une tachycardie ventriculaire, mais ce n’est généralement pas le cas. Un traitement alcalinisant corrige généralement la durée des QRS et permet de retenir le diagnostic de tachycardie supraventriculaire [9][10].
  • La repolarisation est altérée avec des anomalies non spécifiques du segment ST ou de l’onde T (aplatie), mais deux anomalies sont plus spécifiques d’une intoxication sévère.
    • un intervalle QT long avec un allongement quasi constant du QTc au-delà de 470 ms et de mauvais pronostic au-delà de 500 ms.  Des valeurs > 500 ms sont fréquentes en cas de mesure par la formule de Bazett (qui exagère le QTc en cas de tachycardie) ou de complexes QRS larges (qui prolongent ipso facto le QT).
    • une phénocopie Brugada, plus rare (10-15% des cas) mais très évocatrice avec un segment ST en dôme en V1 et parfois V2, (voir blog de S Smith) [6][7].
  • Toute forme d’ectopie ventriculaire est possible. Une arythmie ventriculaire maligne (TV/FV) peut survenir et précipiter le décès. Des torsades de pointes sont rares.

Toxicité clinique et traitement [1][8]

Une détérioration rapide de l’hémodynamique avec hypotension voire choc cardiogénique (contractilité myocardique réduite et baisse des résistances vasculaires systémiques due à l’effet alpha-bloquants) ou des convulsions/clonies peuvent se produire jusque dans les 24 heures suivant l’ingestion, rarement au-delà. Le monitoring sanguin des lactates et de la créatinine aident à dépister la sévérité de l’insuffisance circulatoire.

Les clonies qui s’accompagnent d’une pause respiratoire peuvent s’accompagner d’une tachycardie avec acidose respiratoire et lactique à l’origine d’un élargissement majeur des QRS et engager le pronostic vital (Taboulet P 1995 [9]).

Le risque de convulsions apparaît en cas de complexes QRS de durée > 100 ms dans les dérivations des membres, et le risque d’arythmie ventriculaire au-delà de 160 ms. Ce risque apparaît également en cas de déviation axiale terminale droite du QRS (R proéminente en VR).

  • Le sels de sodium alcalins sont indiqués dès que la durée des QRS atteint 120 ms (ex. flacon de 100 ml de bicarbonates/lactates de sodium 84‰ (100 ml = 100 mEq) ou flacon de 250 ml de bicarbonates/lactates 42‰ (250 ml = 125 mEq) à perfuser en 30 min, renouvelable [11]. Ils corrigent immédiatement l’effet stabilisant de membrane observé sur l’ECG (ils affinent les QRS et améliorent la conduction AV) et améliorent l’hémodynamique.
  • Un remplissage vasculaire est recommandé en cas d’hypotension artérielle. En cas  d’échec, l’administration de catécholamines alpha et bêta+ est recommandée.
  • En cas de trouble de la vigilance ou convulsion, il faut envisager rapidement une réanimation conventionnelle (protection des voies aériennes) ± suivie par un lavage gastrique (discuté) et charbon activé (jamais de LG sans protection des voies aériennes).
  • Un pré-traitement par lorazepam est indiqué en cas de risque de convulsions (confusion avec QRS larges avec en VR aspect RSR’ ou grande onde R).
  • La physostigmine (0,02 mg/kg IV à la vitesse de 0.5 mg/min et doses répétées) corrige les effets anticholinergiques. Elle semble sans danger pour réduire le délire lorsque la peau du patient est sèche.
  • Les émulsions lipidiques (ex. Intralipide 20%) sont considérées comme un antidote pharmaco-cinétique « accessoire » (faible niveau de preuve).
  • Un état de choc réfractaire est une indication à l’assistance circulatoire externe.

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Vidéo formation ECG toxique P. Taboulet (YouTube. 25 min).  Ce module résume les signes les plus évocateurs d’un ECG « toxique », c’est-à-dire d’un ECG altéré par des toxines cardiotropes qui affectent le système nerveux sympathique et parasympathique, ou le potentiel d’action des myocytes. L’exemple type d’ECG toxique résulte de l’action des substances « stabilisant de membrane » ou « quinidine like » qui bloque essentiellement les canaux sodiques et potassiques de dépolarisation et repolarisation rapide des myocytes ventriculaires. Nous en verrons certains exemples pathognomoniques au côté de tracés d’intoxication digitaliques et autres toxiques auquel on ne pense pas toujours10 signes sont à connaître…. Plus il y a de signes, plus il y a (mal)chance qu’un patient soit intoxiqué par des cardiotropes. Certains signes sont simples à rechercher et particulièrement évocateurs… Une riche iconographie et bibliographie illustre les propos. Il est support de cours du Pr MEGARBANE Bruno pour l’enseignement aux DES de Médecine Intensive et Réanimation (2e et 3e années).

 


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