Intervalle QT. 4. Médicaments/psychotropes

L’intervalle QT (ou Q-T) traduit la durée de la systole électrique du ventricule et reflète à la fois la qualité de la conduction intraventriculaire et celle de la repolarisation ventriculaire. C’est un marqueur électrocardiographique fondamental en électrophysiologie et en pharmacologie. Un intervalle QT long expose à un risque d’arythmie ventriculaire sévère (avec parfois syncope ou mort subite). Ce risque augmente tout particulièrement si l’intervalle QT pré thérapeutique est long, en cas de cardiopathie, de bradycardie, d’insuffisance rénale, chez les patients âgés ou chez les femmes.

La prescription ou le maintien d’une prescription de médicament allongeant l’intervalle QT (> 250 médicaments) doit être particulièrement prudente chez les patients qui présente un syndrome du QT long acquis ou un syndrome du QT long congénital (SQTLC) .

  • Si le patient présente un intervalle QTc prolongé de base (> 450 ms chez l’homme et > 460 ms chez la femme en l’absence de bloc de conduction intraventriculaire), il est important d’éviter les médicaments prolongeant le QT.
  • Les médicaments qui augmentent la durée de l’intervalle QT sont classés en fonction du risque (possible ou connu) de déclencher des torsades de pointe [5]. Certains sont déconseillés d’autres contrindiqués dans le SQTLC [5].
  • L’action d’un médicament sur le QT n’est pas toujours prévisible en raison de susceptibilité génétique variable et du type de situation clinique dans laquelle il est donné. Liste des situations à risque sur Crediblemeds® [6].
  • Liste des médicaments conseillés ou contrindiqués dans le SQTLC et site de référence Crediblemeds® [1]

1. Mesure de l’intervalle QT

La mesure manuelle de mesure de l’intervalle QT est difficile (cf. Intervalle QT). Il faut préciser dans le compte rendu de l’ECG pré-thérapeutique la dérivation choisie (DII ou V5/V6 en général), la méthode utilisée (tangente ou threshold), la fréquence cardiaque et la formule de calcul utilisée pour transformer le QT en QTc (ex. Bazett, Fridericia, Hodges…).

La méthode de mesure automatique par des algorithmes est acceptable, sous certaines conditions, et la valeur du QTc fournie doit être validée manuellement. L’appareil utilisé (ex. Mortara, Philipps, Nihon Kohden…), la version de l’algorithme utilisé (ex. Veritas, ECAPS 12C, Cardiologs…), le nombre d’ECG pour le moyennage des valeurs doivent être précisés dans le compte rendu de l’ECG.

Video YouTube (P. Taboulet) : Comment mesurer le QT ? 

2. Calcul de l’intervalle QTc

Les sites ci-dessous permettent de calculer le QTc à partir de la fréquence cardiaque/intervalle R-R et de la mesure de l‘intervalle QT.

  • The calculator (toutes formules avec comparaison) : gratuit
  • Medicalcul (toutes formules) : gratuit
  • Psychopharma pour les calculs de QTc à partir du QT en fonction du sexe, de l’âge, de la fréquence cardiaque et de la durée ± des QRS ici [10]
  • Le smartphone AliveCor KardiaMobile-6L permet une (auto)mesure du QTc approuvée par la FDA (avril 2020) 

Si l’intervalle QTc est long (ex ≥ 460 ms), l’avis d’un spécialiste est recommandé pour valider la valeur et la conduite à tenir.

Video YouTube (P. Taboulet) : Comment interpréter un intervalle QT ? 

3. Recommandations

1- Avant la prescription d’un médicament qui peut allonger l’intervalle QT [2][8]

  • Le bénéfice/risque d’un médicament qui peut allonger le QT doit être envisagé AVANT la prescription et au COURS de la surveillance si le QTc pré thérapeutique est normal ou a fortiori si prolongé (QTc 450/460-500 ms) ==> recherche d’alternative, correction d’une hypokaliémie/hypomagnésémie/hypocalcémie, suppression des interactions médicamenteuses… Par exemple, un médicament qui peut allonger le QT doit être différé pour une kaliémie < 3,5 mmol/l ou débuté pour une kaliémie 3,5-4 mmol/l, mais une supplémentation en potassium doit être débutée [8].
  • Réaliser un ECG préalable chez les patients ambulatoires < 65 ans sans comorbidité (cardiaque, rénale, hépatique ou QTc intrinsèque > 460 ms) et en l’absence de prise d’un autre médicament qui allonge le QT, pour un patient ambulatoire “est raisonnable mais pas obligatoire”. Réaliser un ECG préalable est recommandé en cas de double prescription de médicaments qui peuvent allonger l’intervalle QT, chez tout patient hospitalisé [8]  et chez les sujets aux antécédents personnels ou familiaux de syncope (pour un dépistage du SQTLC).
  • Si le QTc pré-thérapeutique est normal et que l’emploi d’un médicament allongeant le QT de façon connue/notoire est indispensable, iI est recommandé de pratiquer un autre ECG après 2-3 jours [8] pour mesurer et comparer le QTc avec sa valeur initiale, par exemple chez les patients recevant certains antiarythmiques (en particulier ceux de la classe I ou le sotalol), un psychotrope à forte dose ou deux substances connues pour leur action sur le QT (max. 7e jour) [2]. Cette mesure doit être effectuée lors du pic plasmatique approximatif du/des médicament(s) (vers H2-4 après la prise orale). Idem après augmentation des doses.*
  • Si le QTc pré-thérapeutique est long (ex. 460-500 ms) ou que le patient a une maladie cardiaque ou une insuffisance rénale (DFG < 50 ml/min) et que l’emploi d’un médicament allongeant le QT de façon connue/notoire est indispensable, il faut réaliser au moins un second ECG vers le 2-3 jours, au mieux 2-4 heures après la prise du médicament ou réaliser les premières mesures de QTc quotidiennement dans un cadre hospitalier voire d’y associer une surveillance continue du rythme par télémétrie [8].
  • Si le QTc pré-thérapeutique est long ≥ 500 ms, en cas de QTLC ou de kaliémie < 3,5 mmol/l, et que la prescription d’un médicament allongeant le QT est impérative, la surveillance du QTc ne peut pas se faire en ambulatoire [8]

Figure 1. Sacher F et al. Use of drugs with potential cardiac effect in the setting of SARS-CoV-2 infection. Arch Cardiovasc Dis. 2020   

2- Comparaison des QTc

La comparaison des intervalles QTc doit s’effectuer au moins 8 heures après la prise du médicament en utilisant la meme technique manuelle ou automatique qu’initialement pour le calcul de l’intervalle QTc de base (même dérivation, même formule …) [2]. Si la méthode de calcul est automatique (algorithme), elle doit s’effectuer au mieux avec le même appareil ECG (ex. Mortara, Philipps, Nihon Kohden…), avec la même version de l’algorithme (ex. Veritas, ECAPS 12C, Cardiologs…) et une validation manuelle est recommandée.

Si la fréquence cardiaque change beaucoup entre les deux mesures, il vaut mieux utiliser la formule de Fridericia ([QT/RR(0.33)]) et éviter la formule de Bazett (QT/√intervalle R-R) qui sous-estime la valeur réelle du QTc en cas de bradycardie et à l’inverse surestime le QTc en cas de fréquence cardiaque > 85-90/min [2][7].

Si les complexes QRS sont larges de base ou qu’ils le deviennent, une approche modifiée pour interpréter et comparer les QTc est nécessaire (Cf. Intervalle QT. QRS larges).

3- Conduite à tenir

  • Lors de traitement non essentiel, un allongement du QTc > 30 ms ou une valeur du QTc qui devient > 470-480 ms justifie l’arrêt du traitement.
  • Si le traitement paraît essentiel, sans alternative, bien toléré et sans arythmie, un QTc ≤ 460-500 ms est tolérable. Une télémétrie ou ECG de 24 heures (Holter) est envisageable en cas de comorbidités.
  • En cas d’allongement du QTc > 60 ms ou QTc > 500 ms, le traitement doit être interrompu [3]. L’amiodarone est une exception car elle provoque parfois à elle seule un allongement de l’intervalle QT > 500 ms, mais n’est pas associée à une risque élevé de proarythmie [2]. L’avis d’un spécialiste est recommandé pour valider la valeur du QT et le choix de la formule utilisée pour le calcul du QTc (la formule de Bazett est inadaptée en cas de FC rapide ou lente) et envisager la reprise éventuelle du traitement à des doses plus faibles ou une surveillance continue par télémétrie.
  • En cas d’extrasystoles ventriculaires ou de torsade de pointes, injection IVL de magnésium, arrêt du traitement, monitorage, avis/transfert en milieu cardiologique.

NB. La cortisone a forte dose semble raccourcir l’intervalle QT [11]

 

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