Infarctus 3. sans sus-décalage de ST

Infarctus sans le sus-décalage de ST qui définit un infarctus ST+ (ESC 2203 [9]). Le diagnostic est évoqué devant l’association d’un syndrome clinique et électrique compatible avec un syndrome coronaire aigu. L’ECG n’est parfois pas contributif au diagnostic et peut même égarer le clinicien (aspect normal ou subnormal). Le diagnostic d’infarctus repose in fine sur une cinétique positive (ou négative) de troponine. L’angiographie coronaire a pour but de rechercher une ou des lésions coronaires curables.

L’infarctus non ST+ est plus fréquent que l’infarctus ST+ et la population touchée est en moyenne plus âgée [1]. Les présentations ECG sont très variables et traduisent des syndromes différents avec des pronostics différents [2], selon la présence ou non d’une occlusion coronaire aiguë et d’une prise en charge optimale [3][4][5]. Les patients avec anomalies de repolarisation non ST+ en situation clinique compatible avec une ischémie myocardique aiguë (SCA) ont une occlusion coronaire aiguë dans environ 30% des cas [3][4].

Les artères occluses coupables sont plus souvent la coronaire droite ou la circonflexe que l’interventriculaire antérieure, mais des lésions coronaires multiples ou une occlusion du tronc commun de la gauche sont fréquentes [3][14]. Dans ce cas, le pronostic à court terme est alors sévère, proche de celui des infarctus ST+ [3][4]. C’est pourquoi l’identification précoce des présentations ECG évoquant une occlusion coronaire est essentielle afin d’envisager une revascularisation précoce [5][7][8]. L’échocardiographie peut également participer à la reconnaissance précoce d’une occlusion coronaire aiguë.

L’ECG doit être réalisé précocement en cas de suspicion de SCA, avant la biologie, laquelle contribue aussi généralement à la prise en charge. L’angor stable ou instable ne s’accompagnent pas d’élévation de la troponine. L’infarctus sans sus-décalage de ST s’accompagne d’une élévation et/ou baisse des valeurs plasmatiques d’une troponine cardiaque (Cf. SCA définition). Parmi eux, les patients qui présentent une occlusion coronaire aiguë ont des valeurs de troponine élevées (pic > 1000 ng/l) comparables aux valeurs observées en cas de sus-décalage de ST [32].

Le sous-décalage de ST

Le sous-décalage de ST est l’anomalie la plus fréquente rencontrée chez les patients qui présentent des symptômes d’ischémie coronaire au repos et un ECG initial anormal [2]. Les seuils académiques qui doivent faire évoquer un infarctus non ST+ en situation clinique compatible avec une ischémie myocardique aiguë ou un infarctus sont définis ainsi (ESC 2023 [9]) :

  • un nouveau sous-décalage de ST ≥ 0,5 mm (0,05 mV) au niveau du point J dans au moins 2 dérivations contiguës. Il est généralement horizontal ou descendant avec une onde R proéminente ou un ratio R/S > 1.

Plus le segment ST est sous-décalé, plus grand est le risque d’occlusion coronaire aiguë [2]. La mesure précise de l’amplitude du sous-décalage de ST est délicate et doit être interprétée en fonction de l’amplitude du QRS qui le précède (règle de la proportionnalité) car le décalage de ST est minoré par des QRS microvoltés et majoré par des QRS amples. Pour S. Smith tout sous-décalage maximum en V1-V4 doit faire évoquer une occlusion coronaire aiguë (cf. Infarctus basal).

  • Si l’aspect horizontal ou descendant (ST raide) est évocateur d’une ischémie myocardique, il est souvent difficile à distinguer du sous-décalage de ST évocateur d’une surcharge ventriculaire ou « strain pattern » (cf. Hypertrophie ventriculaire).
  • En cas de reperfusion, spontanée ou provoquée, on peut observer une combinaison de lésion sous-épicardique (ST+) et ischémie sous-épicardique (T-) très évocatrice appelée « ischémie-lésion » ou encore une ischémie sous-épicardique (« ondes T de reperfusion ») appelées parfois « ondes T de Wellens » (cf. Syndrome de Wellens).

Les termes ischémie ou lésion sous-endocardique ou lésion sous-épicardique sont descriptifs, mais ne traduisent pas exactement les phénomènes locaux.

 

Les seuils académiques définis en 2018 manquent de spécificité et peuvent traduire [10] :

  • une ischémie myocardique avec coronaropathie et infarctus aigu (avec ou sans occlusion coronaire),
  • une ischémie myocardique avec coronaropathie sans infarctus aigu (maladie coronaire stable ou séquelles d’infarctus),
  • une ischémie myocardique sans coronaropathie, avec ou sans infarctus biologique (ischémie fonctionnelle, tako-tsubo…),
  • de très nombreux diagnostics différentiels de l’ischémie aiguë (cf. Sous-décalage de ST

Signes ECG évocateurs d’une occlusion coronaire aiguë

Une occlusion coronaire aiguë (« Occlusion myocardial infarction » ou OMI) ne s’accompagne pas de sus-décalage de ST, au seuil défini par l’ESC en 2023, dans presque 30% des cas [3][5][9]. Cette entité a pourtant un mauvais pronostic en raison du retard diagnostique et thérapeutique. L’existence d’un « équivalent ST+ », en situation clinique compatible avec une ischémie myocardique évolutive, est une entité admise par l’AHA en 2022 [8] et l’ESC en 2023 [9] sous l’impulsion du Pr Steve Smith (Minnesota, le pape de l’ECG dans le domaine du SCA/infarctus) [5]. Elle peut être reconnue devant certains “patterns” : (Cf.  SCA non ST+. Équivalents ST+) [5][12].

  1. des ondes T amples ou « hyperacute T-waves » (cf. Ondes T amples ischémiques) : elles sont à base large et de surface exagérée par rapport à l’amplitude des QRS [5].
  2. un ST+ subtil (< 1 mm) avec présence d’ondes Q pathologiques, un ST- en miroir ou une distorsion terminale du QRS
  3. un sous-décalage de ST maximum en territoire V1-V3(V4), même minime ≤ 1 mm (cf. Infarctus basal) [14]
  4. un sous-décalage de ST diffus ≥ 1 mm avec miroir ST+ en VR(V1) qui correspond à des lésions coronaires proximales ou tritronculaires de très mauvais pronostic, en particulier si l’hémodynamique est compromise [9][18].
  5. un sous-décalage de ST ascendant à partir d’un point J sous-décalé suivi par l’ascension rapide (« take-off ») d’une onde T ample ; cette entité (Ondes T de de Winter) traduit une occlusion (quasi)complète d’une artère coronaire, en général l’IVA.
  6. une perte de la discordance appropriée entre la polarité des QRS et celle de la repolarisation au cours d’un bloc de branche, un QRS électroentraîné ou une préexcitation ventriculaire (cf. Infarctus avec complexes QRS larges).

Conférence de Smith (nov 2023) : Diagnose Acute Coronary Occlusion Myocardial Infarction (OMI) with ECG (Powerful Medical Webinar)

Anomalies de l’onde T

Les seuils académiques définis en 2018 qui doivent faire évoquer un infarctus non ST+ en situation clinique compatible avec une ischémie myocardique aiguë ou un infarctus sont une onde T inversée ≥ 1 mm (0,1 mV) ou diphasique (+/-) dans au moins 2 dérivations contiguës avec une onde R proéminente ou un ratio R/S > 1 (ESC 2018 [9]).

  • L’onde T inversée dans le contexte d’un SCA (sans onde T géante en miroir) est un signe que l’ischémie est résolutive. Elle est typiquement symétrique, profonde (ex. ≥ 3 mm [19]) et large avec parfois prolongation de l’intervalle Q-T [20]. Si l’onde T est inversée profonde (« giant negative T waves »), une reperfusion/désocclusion coronaire récente est hautement probable [21]. Elle peut être précédée de quelques heures par une onde T diphasique, parfois très discrète, plus spécifique (“terminal T-wave inversion”). Ces deux aspects consécutifs de l’onde T observés en dehors des périodes angineuses ont été décrits en premier par Wellens et al. [22]. Ils sont de haute valeur diagnostique dans le précordium (en particulier V2-V4) pour le diagnostic d’une sténose critique de l’IVA avec perfusion d’aval préservée, soit par la réouverture spontanée de l’artère, soit par le réseau collatéral (syndrome de l’IVA ou « syndrome de Wellens »). Une prise en charge médicale rapide est recommandée car une réocclusion complète est à redouter à court terme [23].
  • L’onde T inversée profonde en rapport avec une ischémie résolutive peut régresser en quelques heures/jour ou se repositiver brutalement en cas de réocclusion (« pseudonormalisation »). Elle peut persister plusieurs mois en cas d’infarctus. Des analogues d’ondes T de Wellens sont également possibles en territoire inférieur ou latéral en cas de reperfusion coronaire (les ondes T peuvent être alors positives si la polarité du QRS est négative).
  • Une onde T inversée de faible amplitude (≥ 1 mm) dans deux dérivations où l’onde R est proéminente (R/S > 1) peut aussi traduire isolément une ischémie coronaire subaiguë, en particulier en territoire inférieur ou latéral [24]. Elles peuvent correspondre à un miroir d’onde T+ ischémique en territoire opposé. En règle générale, les anomalies mineures de l’onde T doivent alerter le clinicien, mais elles manquent de spécificité et se rencontrent dans de nombreuses situations. Elles peuvent s’observer physiologiquement chez l’adulte jeune en dérivations V1-V3 (cf. Persistance de la repolarisation juvénile) [25], à tout âge dans le territoire latéral haut (VL) ou inférieur (DIII-VF), chez l’africain (cf. Inversion bénigne de l’onde T) ou chez les sujets âgés dans les dérivations latérales (V5-V6 et DI-VL) en rapport avec des vitesses de repolarisation différentes entre endocarde et épicarde, physiologiques ou liées à l’âge [26].

Des ondes T inversées ne sont pas spécifiques d’une lésion coronaire aiguë et s’observent dans d’autres situations aiguës (notamment la cardiomyopathie de stress appelée parfois takotsubo, une embolie pulmonaire ou une souffrance cérébrale aiguë). Elles peuvent s’observer en lien avec une pathologie coronaire chronique (cf. Séquelle de nécrose) ou au cours de l’évolution de certaines pathologies (cf. Sous-décalage de ST) [27].

 

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Ondes Q de nécrose

  • Des ondes Q de nécrose peuvent s’inscrire à tous les stades d’un infarctus non ST+, mais sont généralement présentes sur l’ECG initial. Elles sont souvent associées à des QRS peu voltés, un minime ST+ [12] ou des ondes T inversées [8]. Elles peuvent manquer en cas d’infarctus non transmural ou apparaître sans corrélation avec une nécrose transmurale ventriculaire [29]. Une perte de la progression harmonieuse de l’onde R de V1 à V3-V4 (ex. onde r de 1-2 mm en V4, dans le cadre d’une pathologie ischémique) ou des complexes QRS fragmentés dans deux dérivations contiguës, est considérée parfois comme un équivalent d’onde Q de nécrose [30].

ECG normal

Un ECG normal ou subnormal chez un patient qui n’a plus mal (a fortiori s’il a encore mal) n’exclut pas la possibilité d’un SCA (a fortiori si les biomarqueurs cardiaques sont discrètement positifs). En effet, une occlusion/sub-occlusion coronaire aiguë avec une repolarisation normale ou subnormale sur l’ECG est possible (environ 5% des cas d’infarctus) en cas de petit territoire coronaire ischémique, en particulier si l’ischémie est incomplète (ex. bon réseau collatéral d’aval) ou si le territoire coronaire est mal explorable (ex. Ischémie dans l’artère circonflexe) [11]. Il peut aussi s’agir d’une « pseudo-normalisation » d’un ECG de base anormal, en rapport avec l’ischémie coronaire aiguë. Il peut enfin s’agir d’une occlusion/désocclusion avec risque de ré-occlusion.

Pour toutes ces raisons, si la situation clinique est évocatrice d’ischémie coronaire (douleur évocatrice, sujet à risque, pas de diagnostic alternatif clair), il est difficile d’écarter le diagnostic de syndrome coronaire aigu ou d’infarctus devant un ECG initial normal, atypique ou peu modifié – surtout en cas de bloc de branche ou hypertrophie ventriculaire – sans multiplier les tracés ni s’aider de la biologie et/ou de l’imagerie (Cf. ECG en situation ischémique).

Si l’ECG est “non concluant” et la suspicion d’occlusion coronaire forte, il est recommandé d’enregistrer les dérivations V8-V9 et V3R-V4R [9], mais le niveau de preuve est faible (et je ne connais pas de cas clinique validant cette stratégie).

Si l’ECG reste normal ou non concluant, mais que les symptômes sont évocateurs et persistants malgré le traitement médical, il faut adresser les patients suspects d’occlusion coronaire aiguë pour une angiographie coronaire à réaliser dans les 2 heures (ESC 2023 [9]). Évidemment, une troponine positive et l’échocardiographie au lit du patient aident considérablement le clinicien à convaincre l’angiographiste… Il faut être convaincant !!! Les patients à risque dont la douleur persiste (éviter la morphine quand on ne comprend pas) doivent être adressés pour une angiographie coronaire à visée diagnostique dans les 120 minutes ! Si vous n’êtes pas convaincus, lisez le blog de SW Smith (Minneapolis, Minnesota) ou du moins ce cas clinique janvier 2024 (Three normal high sensitivity troponins over 4 hours with a “normal ECG”).

Si l’ECG reste normal et les biomarqueurs cardiaques négatifs ou non évolutifs, on peut exclure un SCA, mais pas complètement une ischémie coronaire stable [31]. D’autres examens cardiaques non invasifs sont parfois nécessaires.

 

Infarctus et QRS larges. Voir Infarctus et BBG, Infarctus et BBD ou Infarctus et pacemaker

 

Référence indispensable : Miranda DF, Lobo AS, Walsh B, Sandoval Y, Smith SW. New Insights Into the Use of the 12-Lead Electrocardiogram for Diagnosing Acute Myocardial Infarction in the Emergency Department. Can J Cardiol [Internet] 2018;34(2):132–45.

 

 

 

Références réservées aux abonnés ou accessibles dans le livre : 100 ECG autour de l’infarctus.S- Editions 2020


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